Les BB ne naissent pas tous dans les choux
par Dominique Urbino
« Les enfants ne naissent pas tous dans les choux... »
Puisque les femmes ont le choix désormais, lorsqu'elles décident d'avoir un enfant, c'est un choix mûrement réfléchi. C'est le choix de l'amour. Non pas seulement celui qui unit deux personnes, pour le meilleur et pour le pire. C'est le choix de l'amour que l'on ressent au fond de soi, en quantité telle qu'il semble impossible de ne pas le partager avec cet être que l'on sait vouloir créer en soi et offrir au monde. On le sent dans son corps. On le sent dans sa tête. Et toutes les horloges biologiques, toutes les alertes lancées par la société, toutes les limites posées par tel ou telles ne servent à rien : l'amour qui est là réclame son dû. Il réclame d'exister.
C'est l'histoire d'Oriana, une jeune femme que sa maman a voulue très fort, il y a un peu plus de dix-huit ans, alors que cela semblait impossible.
À l'âge d'Oriana aujourd'hui, Naty, sa maman, ressent de fortes douleurs au ventre : ce sont des kystes. Le diagnostic est grave et le traitement engagé extrêmement long et difficile. Après sept opérations en deux ans, le médecin lui annonce qu'elle est stérile. Naty s'effondre. Elle croit mourir. Elle déprime pendant de longs mois, devient anorexique jusqu'à ce que s'ouvre une brèche dans le mur immense de ses souffrances : elle découvre la Procréation médicalement assistée (PMA), la possibilité du don d'ovocytes direct – alors autorisé en France, mais aussi en Belgique.
Elle est entourée. Au point qu'une amie, touchée par sa situation, lui propose ses gamètes. Après de multiples tentatives, Oriana, sa première fille, naît. Tout à son bonheur, elle en partage chaque instant avec sa donneuse, lui accordant une place telle qu'elle en oublie de préciser la sienne. La gêne grandit jusqu'à semer un trouble profond dans sa relation de couple. Il lui faut prendre une terrible décision : couper les ponts.
« Cela n'a pas été simple, mais il le fallait. Je sais tout ce que je lui dois. Aujourd'hui encore, je la remercie chaque jour, du fond du cœur. Mais il le fallait... ». Avec le recul, l'expérience, elle pense qu'il est plus facile de prendre sa place de maman quand on ne connaît pas la donneuse. « Quand l'envie d'un deuxième enfant est venue, je suis partie pour l'Espagne où j'ai reçu un don anonyme ». Elie, son second, a 16 ans aujourd'hui.
Oriana connaît pourtant sa donneuse. Elle sait tout de ses origines. Elle connaît ses enfants. « Nous entretenons des relations cordiales. Mais je tiens à définir des limites. Je les redéfinis. Je veux que les choses soient claires, même si je lui suis profondément reconnaissante ». Sa maman, c'est Naty. Ses frères et sœurs s'appellent Elie et Serena, 12 ans, la petite dernière, née suite à un don en Grèce. Ses parents sont séparés aujourd'hui. Elle parle peu de son papa.
Oriana est une jeune femme de son temps, vive, fraîche, forte. Elle habite son époque. Ses ambitions le prouvent autant que son histoire. Elle veut d'une famille nombreuse, au moins quatre enfants, « avec des jumeaux, si possible ». Elle souhaite être cheffe d'entreprise dans le domaine de la beauté. S'il en était besoin, elle offrirait « avec plaisir » ses gamètes à une femme dans le besoin. La diversité des familles la touche autant que les souffrances que peuvent endurer les femmes qui voient leurs rêves brisés par une impossibilité d'enfanter unilatéralement décidée par la nature.
L'enfant Kdos
« J'ai toujours accompagné ma maman dans son travail associatif. Très tôt, j'ai lu, pour ces femmes, l'histoire de l'Enfant Kdo, en étant une moi-même. Ces situations sont vraiment douloureuses, éprouvantes. Je me suis toujours sentie le devoir de les apaiser, de les rassurer lorsque je le pouvais, d'aider ces personnes à relativiser, à y croire encore ». Parce qu'elle l'a vécu très jeune dans sa chair, cette souffrance de ne pouvoir espérer, Naty a voulu fonder une association. Pour offrir à celles qui le voudraient, l'information qui lui a fait défaut à l'époque. Pour leur ouvrir une voie, vers des spécialistes qui ne jugent pas mais conseillent, vers des cliniques spécialisées et adaptées, vers un personnel capable d'écoute. CEKI, communauté des enfants Kdos internationale exerce depuis une vingtaine d'années aujourd'hui. « Si un jour je devais raconter mon histoire, je voudrais que l'ouvrage se nomme 'les enfants ne naissent pas tous dans les choux'... » confie Naty. Quelle que soit la famille dans laquelle ils s'inscrivent, ils sont un projet d'amour, une histoire qui se tisse des mois, des années avant leur naissance. Ils sont un acte de foi. Ces « enfants Kdos » représentent l'aboutissement d'un long parcours engagé par leur(s) parent(s) et les personnes qui les entourent.
Plus une réponse qu'une question
La loi est en train d'évoluer en France, tant sur le plan civil que sur ce qu'il sera permis aux femmes d'espérer et de tenter d'un point de vue médical. Le texte sera sans doute voté avant la fin de l'année.
Oriana a fêté ses dix-huit ans avec sa famille : sa maman, son frère, sa sœur et ses grands-parents. Tout à son projet de développer sa structure spécialisée dans l'onglerie, elle travaille dans un institut spécialisé pour les vacances, prépare de nouvelles palettes après le boulot, précise son projet professionnel.
Son entourage, ses amis « savent ». Avoir été l'une des premières enfants en France conçues via un parcours PMA (notamment en don d’ovocytes) à l'étranger ne change rien à sa vie, ni à ses ambitions. Sa volonté, son caractère, elle est très fière de les partager avec sa maman, Naty. Ses origines, la manière dont elle a été conçue, sont, selon elle, un non-sujet. Quelle jeune femme de dix-huit ans discute origine et parcours de naissance avec ses camarades ? Les cours, l'avenir, les aléas du marché du travail, la mode, la discipline, la volonté qu'il faut pour réussir, voilà ce qui l'occupe aujourd'hui.
On ne peut que lui souhaiter le meilleur et plus encore.
La loi évolue, c'est une superbe nouvelle. Les mentalités aussi, tant mieux. Si elle interpelle la société sur la nature, ses limites, la famille, ses possibilités, sa diversité, l'éducation, ses aléas, la PMA, la Procréation médicalement assistée, n’est pas qu'une question : elle est aussi une réponse. Elle est le début d'une histoire qui signifie qu'il ne faut jamais perdre espoir. Elle est une belle histoire comme celle d'Oriana et de sa famille.
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